En 25 ans de métier dans le secteur du développement durable, j'ai pu constater de mes yeux la puissance que peut créer la valeur sociale. Qu’il s’agisse de la prise en compte de l’espace public en phase de conception ou des mesures favorisant les femmes sur le marché du travail, l'impact d'une action positive peut conduire à un changement durable. Mais l'approche actuelle est-elle axée sur la production d'un impact social significatif pour soutenir les territoires et améliorer la vie des populations, ou devons-nous nous contenter de courir après les chiffres pour obtenir les indicateurs supplétifs les plus élevés ?
Où en sommes-nous ?
Au Royaume-Uni, la loi Public Services (Social Value) de 2012 a ouvert la voie à l'un des plus grands changements dans la passation des marchés publics. Les organismes publics étaient tenus de « réfléchir » à la manière dont ils pouvaient contribuer à réduire les inégalités sociales, à favoriser l'accès à l'emploi, à protéger l'environnement et à améliorer le bien-être des individus et des collectivités.
Toutefois, c'est la nouvelle politique gouvernementale en matière de marchés publics, adoptée en 2020, qui a changé la donne, exigeant des entreprises qu'elles « évaluent explicitement » l'impact de leurs initiatives en matière de valeur sociale. Ce changement a permis de garantir que les entreprises agissent en fonction de leurs critères, comme en témoigne aujourd’hui la part de 20 à 30 % accordée à la valeur sociale dans de certains appels d'offres.
Malheureusement, il s'en est suivi une tendance inquiétante que l'on retrouve dans de nombreux thèmes liés au développement durable, tels que le carbone et l’initiative « zéro émission nette ».
Il semble qu'un nouveau mot à la mode, un nouveau cadre ou un nouvel outil soit lancé chaque jour. Cela conduit à la complication et à la confusion, en oubliant presque l'objectif de la valeur sociale. Il ne s'agit pas seulement de produire la valeur monétaire la plus élevée, les initiatives devraient viser un impact local significatif entrainant un changement.
La course aux chiffres : veiller à centrer nos efforts sur un impact substantiel plutôt que sur des indicateurs financiers
Les cadres de valeur sociale et les outils de reporting ont tous été conçus pour établir une méthodologie, bien que les approches varient. En principe, ils mesurent la valeur sociale en fonction de critères associés aux entrées, aux sorties et aux résultats des activités, certaines incluant même la "monétisation" de la valeur sociale.
Les valeurs monétisées sont des indicateurs financiers appliqués aux impacts sociaux afin de calculer l'importance relative du changement pour les personnes concernées. Les outils les plus robustes ont été élaborés à l'aide de méthodes conformes au « Livre vert » du Trésor britannique et/ou aux orientations de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
En théorie, le choix du cadre réglementaire ou de l'outil utilisé ne devrait pas avoir d'importance. Si l’on s’en tient aux grands principes directeurs, les initiatives devraient fournir un large éventail d’actions à valeur sociale, adaptées en fonction du lieu et des de bénéfices locaux.
Les principes directeurs :
- Identifier le résultat souhaité : pas seulement un intrant. Quel est votre objectif réel ?
- Faire participer les personnes sur lesquelles vous souhaitez avoir un impact positif : faire en sorte que ce soit humain, que le qualitatif prime sur le quantitatif.
Le risque d'une trop grande marchandisation de la Valeur Sociale au Royaume-Uni est toutefois réel. Comme en témoigne le nombre de référentiels et d'outils qui ont vu le jour - dont beaucoup sont assortis de cotisations onéreuses alourdissant la charge qui pèse sur les organisations.
La valeur sociale : la différence entre gagner et perdre
La part accordée à l'évaluation de la valeur sociale allant jusqu'à 30 % dans certains appels d'offres, la proposition de valeur sociale d'un soumissionnaire peut faire toute la différence dans l'obtention ou la perte d'un contrat. D'autant plus que l'accent est mis de plus en plus sur la quantification monétisée, où les propositions de valeur sociale financière des soumissionnaires sont pondérées les unes par rapport aux autres.
On pourrait reprocher à cette approche d'accorder trop d'importance à l'évaluation des indicateurs équivalents monétaires. En cherchant à obtenir le score le plus élevé pour remporter un contrat, les organisations risquent de restreindre le champ d'application de leurs initiatives et oublier les principes directeurs évoqués plus haut.
Si le fait que la Valeur Sociale soit reconnue au même titre que les critères traditionnels tels que la qualité technique et le prix, constitue un changement important et bienvenu, l'approche actuelle pourrait-elle se faire au détriment d’initiatives significatives ?
Et ensuite ?
L’absence d'une approche standard cohérente dans le système de valeur sociale, y compris son langage, sa quantification et son évaluation, se trouve au cœur du problème.
Actuellement, le système semble régi par une multitude de cadres et d'outils de mesure commercialisés associés, dont certains sont en situation de monopole dans le processus des appels d'offres du secteur public.
Idéalement, nous avons besoin d'une approche plus cohérente et collaborative pour normaliser l'objectif commun d’apporter une valeur sociale significative, améliorer la vie des populations et permettre aux collectivités de prospérer.
En juin 2023, Social Enterprise UK, en partenariat avec les professionnels de la valeur sociale, a lancé le Programme et la Feuille de route « Social Value 2032 », dans le but de « créer un cadre juridique et réglementaire cohérent, construire un système de valeur sociale avec une compréhension approfondie de l'objectif, du langage et du leadership, développer des normes et des principes communs pour mesurer la valeur sociale et renforcer les chaînes d'approvisionnement qui permettront d'atteindre ces objectifs de manière robuste ».
Cette normalisation et un plan de transformation du système étaient certes les bienvenus, cependant, au bout d’un an, les avancées du programme et de la feuille de route susmentionnés tardent à faire leurs preuves.
En revanche, ce qui est clair, c'est que la valeur sociale jouera, à juste titre, un rôle majeur dans les projets du secteur public à l'avenir. La question est de savoir comment l'approche doit être développée pour que les communautés visées par ces projets puissent en bénéficier. Je suis curieuse de le découvrir.
A suivre…
Début 2023, nous avons créé un groupe de travail chez Egis in the UK sur la valeur sociale afin de nous concentrer sur les 10 thèmes clés intégrés dans notre stratégie de développement durable au Royaume-Uni et sur la base de nos objectifs en matière de valeur sociale.
Dans le prochain article de cette série, j'explorerai notre approche de la valeur sociale et la manière dont nous maximisons l'impact positif que nous avons sur les personnes et les lieux à travers le Royaume-Uni. A suivre !