Egis accompagne les hôpitaux dans la valorisation leur patrimoine immobilier. Nos missions nous ont amenés à accompagner, entre autres, l’APHM à Marseille, le CHU d’Amiens, le CHU de Toulouse, l’APHP. Ces interventions viennent parfois en complémentarité de missions de stratégie patrimoniale, de programmation de nouveaux projets. Au cours de ces missions, nous avons pu faire quatre grands constats.
Santé urbaine | Reconversion des hôpitaux : que faire des anciens établissements de santé dans la ville ?
Publié le 10.07.24
5 Min de lecture
Constat 1 : recréer une adresse forte pour un patrimoine unique
Vis-à-vis de patrimoines souvent exceptionnels, le projet doit permettre de transformer un lieu très connoté, et lié à des affects profonds des citoyens (lieux de vie, de maladie, de mort), en une nouvelle destination urbaine.
Or les sites hospitaliers sont à beaucoup d’égards très singuliers. Les hôpitaux cumulent des facteurs techniques (réseaux, pollutions, diversité de typologies bâtimentaires, etc.), politiques (rapport au patrimoine, au service public, à la santé), fonciers (AOT ou des frontières floues entre domaines publics et hospitaliers), organisationnels (gouvernances, imbrications / organisation de services internes et externes à l’hôpital), etc. avec un niveau de complexité plus rarement atteint pour d’autres types de patrimoines.
Les hôpitaux ont aussi un caractère très urbain : ils ont un statut mixte, hybride entre public et privé. Public parce qu’équipements majeurs du territoire, souvent visibles, avec une échelle importante, impossibles à traverser. Mais également privé car jamais totalement accessibles aux citoyens, en général avec un contrôle à l’entrée, des lieux qui doivent rester calmes, empreints de discrétion ; et qui souvent ressemblent à des labyrinthes pour ceux qui n’y travaillent pas quotidiennement.
Aussi, qu’il s’agisse d’un hôtel-Dieu ou de bâtiments moins remarquables, plus modernes (bien que pour certains amateurs d’architecture, cela puisse se discuter), la transformation d’un patrimoine hospitalier en « autre chose » n’est pas anodine. Et le programme d’après doit être à la hauteur de la complexité de cette transformation et de ce passé.
En effet, il s’agit souvent de plusieurs milliers de mètres carrés à transformer, soit la « mise sur le marché » d’un nouveau quartier. Dans des contextes urbains mêmes dynamiques, cet apport d’offre foncière et immobilière doit pouvoir être absorbé. Aussi, pour convaincre et motiver les opérateurs, le programme urbain et la méthode de valorisation doivent-ils être exceptionnels pour compenser la difficulté (et les coûts) de cette transformation.
Dans ce cadre, les stratégies divergent, avec plus ou moins de réussite. Quelle part donner à ce programme exceptionnel ? Comment « remplir » sans créer à nouveau des frontières au sein du futur quartier et sans non plus « banaliser » ? L’équilibre est difficile à trouver. A Lyon, l’hôpital Debrousse a été reconverti en un parc résidentiel de très haut standing, valorisant le patrimoine architectural et paysager ; quelques logements sociaux ont également été intégrés, dans un programme globalement peu urbain.
Cette nouvelle destination peut aussi rester connectée à la santé ou plus largement à l’inclusivité. C’est de plus en plus le choix réalisé par les centres hospitaliers, face à la raréfaction des moyens dédiés à la santé et sa dépriorisation des politiques publiques. On voit ainsi des hôpitaux faire le choix d’un redéveloppement maîtrisé autour de la formation, de l’hospitalité inclusive (résidence intergénérationnelle, résidence pour séniors autonomes), des activités médicosociales (implantation de professionnels libéraux, centre de soins de suite, EHPAD…), l’économie liée à la santé (village de start-up, pépinières d’entreprises, tertiaire technologique : laboratoires, R&D, etc.). Et de manière générale, une préoccupation pour que le futur site soit intégré à la ville et respectueux de l’environnement.
Constat 2 : la valeur est un facteur de choix à relativiser
La question de la valeur du patrimoine hospitalier dans une valorisation est relativement complexe et symbolique, à double titre.
Symbolique car potentiellement assez peu élevée : les nombreuses contraintes décrites ci-dessus (techniques, réseaux, pollutions, patrimoine, etc.) font rapidement et fortement grimper les coûts de réhabilitation ou de restructuration des sites, et diminuent d’autant la plus-value potentielle. Dans une logique de compte à rebours, certains sites ont même une valeur théorique négative.
Symbolique cependant car les acteurs hospitaliers sont peu enclins à « brader » leur foncier et immobilier, empreints d’une forme d’inalliénabilité car acquis pour « l’intérêt général », ou par des dons, porteurs d’une histoire longue. D’où la défense d’une valeur du patrimoine hospitalier, même si la recette potentielle est minime comparée aux besoins de financements colossaux du fonctionnement de l’hôpital et des programmes d’investissement.
Symbolique, elle peut donc facilement faire l’objet de fixations et de crispations, lesquelles ressortent particulièrement quand hôpital et territoire ne sont pas alignés sur leurs intentions de valorisation.
Constat 3 : un « alignement des planètes » à rechercher
Au-delà de la définition d’un programme attractif, la réussite d’une opération de valorisation d’ampleur telle que celle des hôpitaux réside dans la capacité des acteurs du territoire à s’aligner sur les attentes de l’opération.
L’échelle urbaine des sites hospitaliers nécessite ainsi un dialogue avec plusieurs « communautés » d’acteurs.
En premier lieu, avec les acteurs de la planification territoriale, et plus globalement avec les élus. C’est à la fois une relation de proximité (acteurs publics) aux problématiques similaires de financement, de fonctionnement, et une relation « contrariée » lorsque le projet de valorisation n’est pas suffisamment anticipé et intégré.
Pour maîtriser le risque d’une programmation à rebours des planifications locales, et plus globalement pour libérer l’hôpital du risque de valorisation, certaines emprises ont fait l’objet d’une acquisition par les collectivités. Cette stratégie très offensive, parfois engagée après un dialogue difficile entre l’hôpital et le territoire, n’est pas toujours la plus sereine et sécurisée. Un alignement entre collectivité et hôpital passe par une négociation préalable sur les points majeurs du projet : thématique dominante, principe de densité et de recettes associées, macro-phasage en lien avec les autres grands projets, méthode de travail et de désignation des opérateurs privés et les concepteurs, etc. Quoi qu’il en soit, notre expérience montre que les projets réussissent quand ils sont traités comme un grand projet du territoire, c’est-à-dire pilotés de manière partenariale, à un niveau de direction maximum, et ce même si l’emprise n’est pas acquise par la collectivité.
En second lieu, le dialogue sur le projet de valorisation doit être engagé entre la direction de l’hôpital et la communauté des soignants. Cette dernière est souvent très engagée pour la défense du patrimoine. Par ailleurs très fragilisés, les personnels soignants peuvent légitimement se saisir de la question du patrimoine comme moyen de défense de leur métier. L’implication de cette communauté est particulièrement importante dès le démarrage du projet.
Enfin, plus classiquement et pas moins facilement, le dialogue avec les occupants du domaine hospitalier (associations hébergées, autres locataires, ou détenteurs d’AOT), copropriétaires éventuels, voisinages… et les citoyens, est également à anticiper dans le processus de valorisation.
Constat 4 : l’apanage des grands opérateurs
Enfin il faut noter que la taille des fonciers, le souci de cohérence urbaine, et le coût de ces opérations de reconversion, conduisent à privilégier l’intervention d’opérateurs ensembliers. Ce fut le cas, à titre d’illustration, à Lyon avec Vinci sur Debrousse, ou avec Eiffage sur l’Hôtel-Dieu. Mais ce sont aussi les opérateurs publics (EPF, SEM, SPL) qui peuvent être mobilisés dans ce rôle d’ensemblier, comme sur Amiens, ou à Lyon avec la SACVL sur l’Anticaille. Le redéveloppement de ces sites emblématiques et le succès de ces opérations tiennent donc au savoir-faire (et aux moyens !) de grands acteurs de l’aménagement, qui s’imposent comme partenaires principaux des collectivités et des propriétaires hospitaliers.
Quand le GHPSJ révolutionne le logement soignant
Entre 2017 et 2019, nous avons fourni des conseils au Groupe Hospitalier Paris Saint Joseph (GHPSJ) sur les faisabilités techniques, programmatiques, juridiques et financières pour la valorisation de leur foncier. Notre expertise intégrée a facilité la Fondation dans ses opérations de valorisation foncière, notamment en préparant et animant une consultation d’opérateurs.
L’objectif principal était d’améliorer le logement des personnels soignants en redéveloppant des fonciers sous-utilisés. Cela devait servir une double finalité : générer des recettes additionnelles pour financer les projets hospitaliers de la Fondation et répondre aux besoins d’hébergement du personnel soignant, avec un investissement de 10 millions d’euros pour 2,500 m² de surface de plancher.
Face au défi d’un espace très contraint, tant physiquement que réglementairement par le Plan Local d’Urbanisme, nous avons imaginé une densification compatible qui pourrait accueillir un hébergement de haute qualité tout en s’intégrant aux usages hospitaliers avoisinants. Nous avons établi le programme de l’opération en tenant compte de ses équilibres économiques et des données de marché, puis accompagné la consultation des opérateurs et bailleurs en travaillant sur deux scénarios : la restructuration de l’existant ou la démolition-reconstruction.
Le projet a nécessité un montage opérationnel complexe, combinant des approches techniques, programmatiques, de marché, réglementaires, financières et foncières. Cela a permis de proposer un programme immobilier et un montage juridique associé, assurant le succès de la consultation d’opérateurs tout en respectant les objectifs patrimoniaux de la Fondation, à savoir rester propriétaire du foncier à long terme, et ses objectifs sociaux, en offrant des logements de qualité à son personnel.
Auteur.
Rose MégardDirectrice de la stratégie – Conseil & Exploitation
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